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Maladies auto-immunes: Inégalité des sexes?

Présentation du projet de recherche

L’inégalité des sexes retrouvée dans les maladies auto-immunes est souvent attribuée à des facteurs hormonaux et des différences dans la réponse immunitaire, comme par exemple le fait que les femmes produisent plus d’anticorps ou aient un plus grand nombre de lymphocytes circulants.

Sans pour autant négliger ces facteurs, le laboratoire INSERM UMRs1097 à Marseille, dans lequel travaille Sami-Barna Kanaan financé par la Fondation Arthritis, s’intéresse à d’autres facteurs de risques issus de la grossesse et du chromosome X, qui pourraient expliquer la prédominance des femmes dans les maladies auto-immunes.
Le laboratoire ainsi que d’autres équipes, ont mis en évidence que les cellules fœtales qui traversent le placenta pendant la grossesse et persistent chez la mère après l’accouchement, pourraient, dans certains cas, perturber l’immunité de cette dernière (1, 2). Ce phénomène, appelé microchimérisme fœtal, expliquerait que les femmes soient plus souvent affectées que les hommes par les maladies auto-immunes.
Le laboratoire étudie également le chromosome X, présent en deux exemplaires chez la femme versus un seul chez l’homme. Ce chromosome contient un nombre important de gènes liés à l’immunité. Des perturbations dans le nombre de copies de certains de ces gènes, ou bien même dans la régulation de l’expression du chromosome entier peuvent être à l’origine de la de la prédisposition des femmes aux maladies auto-immunes.

 Le microchimérisme : un risque pour l’auto-immunité chez la femme ?

Une caractéristique propre aux femmes est la grossesse. Or pendant la grossesse, le placenta n’est pas aussi hermétique qu’on le pensait et permet le passage bidirectionnel des cellules du fœtus vers la mère et vice versa.

La présence de plusieurs populations cellulaires génétiquement distinctes dans un même individu est appelée chimérisme. Le microchimérisme correspond à une petite quantité de ces cellules (de l’ordre de 1 à 10 par million de cellules de l’hôte). Ce chimérisme peut donc être acquis de façon naturelle durant la grossesse mais également de façon artificielle au cours de la transplantation d’organes ou de transfusions sanguines.

Après la grossesse, et malgré leur caractère semi-étranger, les cellules microchimériques d’origine fœtale et/ou maternelle ne sont pas complètement éliminées de l’organisme de leur hôte (microchimérisme fœtal chez la mère et/ou microchimérisme maternel chez l’enfant) et persistent plusieurs années. Une autre source de microchimérisme naturel issu de la grossesse est celle provenant d’un jumeau, qu’il arrive à terme ou non. On parle alors de jumeau évanescent.
Il est à noter que le microchimérisme est un phénomène naturel retrouvé chez les individus en bonne santé. Cependant les femmes atteintes de certaines maladies auto-immunes, telles que la sclérodermie systémique et la polyarthrite rhumatoïde (PR), en ont plus fréquemment et en quantités plus élevées dans leur sang périphérique. Il est donc tentant de donner un rôle néfaste au microchimérisme chez les femmes atteintes par ces maladies.
Les hommes, ne pouvant pas acquérir de cellules fœtales, ont naturellement moins de sources microchimériques que les femmes. Ceci expliquerait en partie qu’ils soient moins souvent atteints par les maladies auto-immunes. De façon intéressante, le laboratoire a récemment démontré la présence de cellules féminines provenant d’une jumelle évanescente chez un patient atteint d’une maladie proche de la sclérodermie systémique (Figure 2). Comme nous l’indique Sami « Nous pensons que ce phénomène est loin d’être anecdotique et d’autres études de ce type sont d’ailleurs en cours dans le laboratoire sur des hommes atteints de PR ».

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Figure 2: Hybridation in situ en fluorescence chez un patient atteint d’une maladie proche de la sclérodermie. Le chromosome X est marqué en rouge, et le chromosome Y est marqué en vert. Une cellule féminine XX est détectéée parmi les cellules du patient XY, et provient d’une soeur jumelle évanescente. (Image adaptée de De bellefon et al., Chimerism, 2010).

Les gènes du chromosome X : des variations dans le nombre de copies accélérant l’auto-immunité ?

Une autre possibilité expliquant la différence de sexe est la variation du nombre de copies de gènes sur le chromosome X. En effet, plusieurs gènes connus pour leur importance en immunité innée et adaptive, tolérance immunitaire et production hormonale sont localisés sur ce chromosome. De façon intéressante, il a été récemment démontré dans un modèle de lupus auto-immun chez la souris une translocation d’un groupe de 16 gènes du chromosome X vers le chromosome Y, incluant le gène TLR7 (Toll-like-receptor 7) important en immunité innée. Les souris mâles, ayant ainsi deux copies de ce gène, développaient beaucoup plus rapidement la maladie que les souris femelles de ce même modèle.

Chez les humains, il a été suggéré que les rares hommes atteints de lupus érythémateux disséminé pourraient, comme dans le modèle murin, avoir deux copies de TLR7. Deux études ont vérifié le nombre de copies de TLR7 dans le cadre du lupus avec des résultats contradictoires : une première étude américaine a trouvé que le nombre de copies de TLR7 n’est pas augmenté chez les hommes lupiques, tandis qu’une autre étude mexicaine, plus récente et sur un plus grand nombre de personnes a montré que le nombre était augmenté. Cette possibilité a été examinée dans le laboratoire chez les hommes atteints de PR. Les données montrent une augmentation (et non une duplication) d’environ 10% du nombre de copies de TLR7 chez ces patients comparés à des hommes en bonne santé. Cette augmentation relativement faible suggère que seules certaines populations cellulaires du sang sont affectées. Les analyses sur les sous populations cellulaires triées (lymphocytes T et B, neutrophiles, monocytes…) sont en cours d’évaluation.

L’inactivation du chromosome X : un biais vers l’auto-immunité ?

Le chromosome X est intéressant à plus d’un titre. En effet, non seulement il possède des gènes de l’immunité mais, chez la femme (possédant deux X), on assiste à un phénomène d’inactivation de l’un des deux chromosomes X, afin que la production de protéines soit égale à celle de l’homme qui n’en possède qu’un.

Cette inactivation est généralement aléatoire affectant soit le chromosome X maternel, soit le chromosome X paternel avec 50% de chance d’inactiver l’un ou l’autre (Figure 3). Cependant, il a été décrit chez les femmes atteintes de maladies auto-immunes que cette inactivation n’était pas aléatoire mais complètement biaisée avec un des deux chromosomes X préférentiellement inactivé dans 90% des cas (4).

Nous avons testé l’hypothèse d’un biais d’inactivation chez les femmes atteintes de PR. Ce projet est en étroite collaboration avec le groupe de Tayfun Ozcelik, spécialiste de l’inactivation du chromosome X, à Ankara, Turquie. Les données obtenues indiquent en effet un biais d’inactivation chez les femmes atteintes de cette maladie, et en particulier chez celles qui portent des gènes HLA de susceptibilité à la maladie. Des études complémentaires sont en cours dans le laboratoire pour expliquer la corrélation entre le biais d’inactivation du chromosome X (phénomène appelé épigénétique) et la présence des gènes HLA de susceptibilité à la maladie (facteur de risque génétique).

Le sexe est le facteur de risque le plus important dans beaucoup de maladies auto-immunes. La PR et la sclérodermie systémique, qui sont les deux maladies essentiellement étudiées dans le laboratoire, n’échappent pas à cette règle. La compréhension des phénomènes à l’origine de l’apparition et la persistance du microchimérisme, de la variation du nombre de copies de gènes immunitaires sur le chromosome X et du biais d’inactivation de ce chromosome, est cruciale pour le développement de thérapies ayant pour but d’inverser le destin du microchimérisme et/ou de cibler les mécanismes régulant certains gènes du chromosome X.

Figure 3. Le phénomène d’inactivation du chromosome X chez les mammifères consiste à éteindre l’expression de quasiment tous les gènes de ce même chromosome. En conséquence, les femmes sont une mosaïque de deux lignées cellulaires avec une inactivation aléatoire de l’un des chromosomes X (X maternel ou X paternel), et donc l’expression des protéines de l’autre X.Parfois, l’un des chromosomes est préférentiellement inactivé (dans cet exemple, le X maternel, Xm). La majorité des cellules expriment alors les gènes de l’autre X (paternel, Xp) et l’on parle ici d’un biais d’inactivation du chromosome X.
Figure 3. Le phénomène d’inactivation du chromosome X chez les mammifères consiste à éteindre l’expression de quasiment tous les gènes de ce même chromosome. En conséquence, les femmes sont une mosaïque de deux lignées cellulaires avec une inactivation aléatoire de l’un des chromosomes X (X maternel ou X paternel), et donc l’expression des protéines de l’autre X.Parfois, l’un des chromosomes est préférentiellement inactivé (dans cet exemple, le X maternel, Xm). La majorité des cellules expriment alors les gènes de l’autre X (paternel, Xp) et l’on parle ici d’un biais d’inactivation du chromosome X.

L’équipe

Unité : UMRs 1097 – Université d’Aix-Marseille dirigée par le Prof. Jean Roudier.
Lieu : Technopôle International Marseille Luminy, Marseille.
Composition de l’équipe : Equipe « Microchimérisme » dirigée par Nathalie Lambert, Post-doctorant : Karlin Karlmark, Doctorants : Doua Azzouz et Sami-Barna Kanaan.
Thématique : Immunogénétique des maladies auto-immunes rhumatismales.

Références

1. J. M. Rak et al., Arthritis Rheum 60, 73 (Jan, 2009).
2. N. Lambert, J. L. Nelson, Autoimmun Rev 2, 133 (May, 2003).
3. L. M. de Bellefon et al., Chimerism 1, 56 (Oct, 2010).
4. N. C. Lambert, Arthritis Rheum 60, 3164 (Nov, 2009).

Grâce à vous, la Fondation Arthritis finance durant 2 ans la thèse du chercheur Sami-Barna Kanaan.

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